Une seconde lecture du design : Travailler avec l’existant dans le projet d’un client
Dans un monde saturé d’objets, de consommation rapide et de relooking express, la tentation est grande de tout remplacer, de tout refaire, de repartir à zéro. Pourtant, une approche plus subtile, plus humaine — et souvent plus puissante — gagne du terrain : partir de l’existant, observer, sublimer, réinterpréter ce qui est déjà là.
Ce regard affûté, respectueux et sensible, devient un véritable levier créatif dans le métier d’architecte d’intérieur. C’est ce que nous appelons chez Studio SOEL : la seconde lecture du design. Il ne s’agit plus simplement de “refaire une déco”, mais de révéler la beauté latente d’un lieu et de son histoire.
Dans cet article, nous explorons les raisons profondes qui rendent cette approche si pertinente, comment l’appliquer concrètement dans un projet, et pourquoi elle répond aux enjeux esthétiques, émotionnels, écologiques et budgétaires du monde actuel.
Partie I – Pourquoi repartir de l’existant est une approche puissante
1. Parce que chaque lieu a une mémoire
Un appartement, une maison, une pièce… tout espace porte en lui une histoire. Traces de vie, objets accumulés, couleurs choisies, volumes restés intacts : l’existant est un témoin discret de l’âme d’un lieu.
Plutôt que d’effacer cette mémoire, la démarche du designer est de l’écouter :
Quels matériaux racontent quelque chose ?
Quelle pièce de mobilier a une valeur affective ?
Quelle lumière naturelle met en valeur tel mur, tel angle oublié ?
Un projet réussi respecte la mémoire des lieux tout en les adaptant aux besoins actuels. C’est un équilibre entre héritage et réinvention.
2. Parce que le design ne commence pas au neuf
Contrairement à une idée reçue, le travail de l’architecte d’intérieur ne commence pas à partir d’un espace vide. Il commence au contraire par l’observation de l’existant : les flux de circulation, les contraintes structurelles, les usages réels, les objets conservés, les habitudes visibles. La « seconde lecture » permet de voir ce qui fonctionne déjà… et ce qui bloque. C’est un regard fonctionnel, esthétique, mais aussi émotionnel.
Partie II – Une réponse écologique et économique
1. Réutiliser plutôt que jeter
Dans une société marquée par le gaspillage, la surconsommation et l’urgence climatique, le design responsable prend tout son sens. Travailler avec l’existant, c’est :
Réduire les déchets (moins de démolition, moins d’encombrants).
Limiter les achats neufs.
Allonger la durée de vie des matériaux, des meubles, des objets.
Cette démarche s’inscrit dans une logique de slow design ou de design circulaire : on valorise ce qui est déjà produit, on répare, on transforme, on détourne. C’est à la fois un acte écologique… et une source de créativité inépuisable.
2. Respecter le budget du client sans sacrifier la qualité
Un projet de rénovation peut vite devenir coûteux si tout est à refaire. En identifiant les éléments réutilisables ou adaptables, le designer peut :
Rediriger le budget vers des pièces maîtresses de qualité.
Privilégier des matériaux durables au lieu de multiplier les achats.
Créer de la valeur ajoutée sans surcoût.
Le client bénéficie alors d’un projet personnalisé, respectueux, et souvent plus élégant qu’un simple “avant/après” spectaculaire.
Partie III – Une richesse esthétique insoupçonnée
1. Le charme de l’imparfait
Les intérieurs les plus forts émotionnellement sont souvent ceux qui conservent une part de patine, de vécu, de contraste. Un vieux parquet qui craque, un mur en pierre partiellement exposé, une armoire familiale repensée : ces éléments offrent une authenticité rare dans un monde de plus en plus normé.
Le designer doit apprendre à voir la beauté dans l’imperfection : traces du temps, asymétries, usures nobles. L’existant devient alors un socle poétique, un point de départ inspirant.
2. Le mix and match harmonieux
Savoir intégrer des éléments anciens dans une composition contemporaine est un art. Loin de créer du désordre, cette superposition crée :
Du rythme visuel (jeu de textures, matières, styles).
Une profondeur narrative (chaque objet a une histoire).
Une identité forte (aucun projet ne se ressemble).
L’architecture d’intérieur devient un langage vivant, à la croisée du passé, du présent et du geste du designer.
Partie IV – Comment travailler concrètement avec l’existant ?
1. Faire un diagnostic précis
Avant tout, il faut observer minutieusement :
Quels meubles méritent d’être gardés ? Détournés ?
Quels éléments structurels peuvent être valorisés ?
Quels défauts sont au contraire à masquer ou corriger ?
Quelle circulation peut être optimisée ?
Le projet commence souvent par une visite lente et silencieuse, à la recherche de signes, de potentiels, de petits détails oubliés.
2. Dialoguer avec le client autour de ses objets
Souvent, les clients ne voient plus ce qu’ils possèdent. Ils pensent que leurs meubles sont “démodés” ou inutilisables. Or, certains objets ont :
Une valeur émotionnelle forte.
Un potentiel esthétique une fois retravaillés.
Une cohérence avec le lieu.
Le designer devient alors passeur d’histoires, révélateur de trésors cachés.
3. Mixer réemploi et création sur mesure
L’approche ne consiste pas à tout conserver, mais à composer intelligemment :
Un meuble ancien relooké devient pièce maîtresse.
Un fauteuil tapissé à neuf retrouve une vie moderne.
Un luminaire ancien réadapté se fond dans un décor épuré.
Le sur-mesure vient compléter l’existant, le mettre en valeur, lui redonner du sens.
Partie V – Études de cas inspirantes
1. Un salon bordelais réinventé autour d’un buffet années 50
Chez un jeune couple installés dans une échoppe bordelaise, un buffet hérité de famille semblait impossible à intégrer. Plutôt que de l’éliminer, nous avons :
Repeint le meuble en gris galet.
Remplacé les poignées par des laitons vieillis.
Repositionné la pièce au centre d’un mur coloré en contraste.
Le meuble est devenu l’âme du salon, autour duquel tout le projet s’est articulé.
2. Une chambre d’enfant créée à partir de meubles recyclés
Dans un appartement parisien, nous avons transformé une chambre sans caractère en un cocon évolutif :
Un ancien lit en bois a été raccourci et repeint.
Des paniers tressés ont été intégrés comme rangements muraux.
Une commode ancienne a été détournée en table à langer.
Le tout pour un budget réduit, un rendu chaleureux, doux et durable.
Partie VI – Une démarche en phase avec les attentes actuelles
1. Les nouveaux clients cherchent du sens
Aujourd’hui, les clients ne veulent plus un intérieur “tendance” mais un lieu qui :
raconte une histoire.
résonne avec leurs valeurs.
crée du lien avec ce qu’ils possèdent déjà.
La seconde lecture du design offre une réponse intimiste, écologique, humaine à ces nouvelles attentes.
2. Une approche alignée avec la sobriété contemporaine
Travailler avec l’existant, c’est aussi défendre une forme de sobriété choisie, où chaque geste est pesé, chaque intervention justifiée. C’est le contraire du “toujours plus”. C’est une posture qui valorise :
L’intelligence du geste.
La valeur d’usage.
La durabilité dans le temps.
Conclusion – Un nouveau regard, un autre design
Repartir de l’existant, c’est faire preuve d’humilité, d’écoute, d’imagination. C’est se mettre au service de l’histoire du lieu et de ses habitants. C’est parfois faire moins, mais mieux.
Cette approche, loin d’être un compromis, est au contraire une signature forte : elle donne naissance à des intérieurs justes, chaleureux, cohérents — et profondément uniques.
Chez Studio SOEL, nous croyons que la beauté naît souvent d’un deuxième regard. Celui qui ne cherche pas à effacer, mais à révéler. Celui qui fait le lien entre passé, présent et futur. Celui qui transforme sans renier.